L'animatrice du Ripame, sensibilisée à la langue des signes, a suivi la formation Bébé fais-moi signe, avec Monica Companys, Bénédicte Fabert et Isabelle Cottenceau, afin de transmettre cet outil de communication aux professionnels et aux parents de notre territoire, pour le bien-être de nos enfants.
Les enfants développent leur motricité avant la parole et ont des besoins ou des envies très tôt, bien qu'ils ne parlent pas encore. De ce fait, en leur apprenant à signer des mots issus de la langue des signes, ils pourront vous communique leurs désirs et se faire comprendre.
Il s'agit de signer (et verbaliser) quelques mots clés qui reviennent régulièrement dans le quotidien de l'enfant. Cette technique vous permettra de communiquer plus tôt avec l'enfant, d'éviter des frustrations (colère, pleurs...) et de créer une relation privilégiée.
L'utilisation des signes favorise l'accès au langage
Nicole Farges, psychanalyste spécialisée en surdité exerçant à l'Institut national des jeunes sourds de Paris (INJS), accueille dans son cabinet des personnes entendantes et sourdes. Elle explique comment les signes issus de la langue des signes française peuvent s'intégrer au développement des bébés entendants.
Il faut effectivement qu'un enfant n'accède pas à la toute-puissance, qu'il apprenne qu'il y a des limites… Face à un bébé qui ne parle pas mais fait le signe du gâteau, personne n'est obligé de le lui donner sur-le-champ. On peut en discuter avec lui. Finalement, ce bébé sera moins frustré, car il arrive à se faire comprendre, mais il va quand même éprouver de la frustration. Cela ne peut pas avoir d'effet négatif. Par l'utilisation des signes, le bébé passe d'un registre du comportement - il pleure, grogne, se met en colère, ou montre du doigt - à un processus de symbolisation parce que les signes sont des symboles, qui appartiennent à une langue. On favorise ainsi l'accès au langage, donc à l'humanisation.
Les enfants sont capables de former des gestes bien avant de pouvoir parler, en général vers 10 mois ; alors que la plupart des enfants disent uniquement « papa » et « maman » à l'âge d'un an. Quand on s'adresse à un enfant oralement, on lui suppose une compréhension sans vraiment attendre de réponse verbalisée. Par contre, quand on s'adresse à un enfant qui utilise des signes, on suppose qu'il va nous répondre en signes, on le considère donc comme une personne dotée de pensées, de désirs. Le regard de l'adulte sur lui change, comme sa façon de se comporter avec lui. Avec les signes, l'enfant devient plus vite sujet de sa parole.
Il faut respecter le rythme de développement du bébé. Par exemple, il ne faut pas le faire marcher ou le mettre debout avant qu'il y soit prêt physiquement. Mais un enfant ne peut pas parler trop tôt, puisqu'on ne peut pas l'y forcer. On propose des signifiants. Il prend les signes - comme les mots - par imprégnation, pas par un enseignement. L'enfant va donc s'approprier les signes s'il est prêt. S'il peut exprimer « gâteau », « fleur », « chat », je ne vois aucune contre-indication.
Je ne vois pas comment cela irait à l'encontre d'un développement naturel de l'enfant. D'ailleurs, la question du naturel n'est pas si évidente. L'empereur Frédéric II de Hohenstaufen en a fait l'expérience au XIIIe siècle. Il a enfermé des enfants dont on prenait soin, mais sans leur parler pour observer s'ils allaient développer une langue. Voulant vérifier l'existence d'une langue universelle, qui émergerait de façon « naturelle ». Tous les enfants sont morts. Pour se développer, un enfant a absolument besoin d'une personne qui lui parle. La parole fait vivre.
C'est vrai que, face à des Japonais, je me sens exclue, mais je vais essayer quelques signes. En partageant des signes avec un enfant, on reste dans le monde de la parole, puisqu'on signe toujours en parlant. Je le vois plutôt comme un plus, une richesse, pas une fermeture.
De façon plus large, il faut savoir que la langue des signes française est une langue vraiment particulière, qui choque beaucoup de personnes entendantes : trop corporelle, animale, pas assez pudique et distanciée. En France, il existe un tabou très fort autour de cette langue, qui dérange inconsciemment. Que des adultes permettent à des bébés de s'en emparer peut donc aussi être compliqué pour cette raison et peut générer une opposition de certains professionnels.
Source : les grands formats du Monde